L’apprentissage n’est pas une question d’âge. Cependant, il ne suffit pas de résoudre des mots croisés et des sudokus. Pour maintenir son cerveau en forme, il est important de sortir des sentiers battus, explique Christian Stamov Roßnagel, chercheur dans le domaine de l’apprentissage.

Pourquoi apprendre est la meilleure prévoyance vieillesse?
Pour les séniors et tous ceux qui souhaitent le devenir: maintenir son cerveau en forme tout au long de la vie est le meilleur moyen de mener une vie longue et indépendante, explique Christian Stamov Roßnagel, chercheur en matière d’apprentissage.

L’humanité devient de plus en plus saine et âgée. Pouvons-nous aussi apprendre de plus en plus longtemps?
Seules des recherches de longue durée pourront répondre à cette question de manière définitive. Cependant, nous pouvons déjà émettre avec certitude quelques considérations: la capacité de notre cerveau est largement sous-estimée. En effet, les capacités d’apprentissage résistent à l’âge.

Les capacités d’apprentissage ne diminuent-elles pas avec l’âge?
Je ne voudrais pas insinuer que les nonagénaires fourniront à l’avenir les mêmes performances cognitives que les trentenaires. Bien sûr que l’on constate une diminution avec l’âge. Mais au moins jusqu’à 70 ans, nous n’avons rien à craindre. Jusqu’à cet âge, nos capacités d’apprentissage sont quasiment identiques à celles des jeunes personnes. Selon nos recherches, le problème principal est ailleurs: avec l’âge, nous stimulons moins notre cerveau car notre volonté d’apprendre diminue de manière systématique.

Pourquoi?
Les raisons sont variées. D’une part, plus nous vieillissons, plus nous nous demandons: qu’est-ce que cela m’apporte? Arrivés au milieu de notre vie, nous commençons à changer de perspective: combien de temps me reste-t-il? Cet investissement en vaut-il la peine? Et si cela ne m’apporte rien financièrement ou pour ma carrière, alors je préfère y renoncer. Parfois, cette involution du désir d’apprendre est avancée comme prétexte pour ne pas s’exposer à de nouvelles cultures d’apprentissage axée sur les plus jeunes.

Qu’entendez-vous par là?
En règle générale, nous devons apprendre à une cadence rapide. Lorsque quelqu’un pose une question supplémentaire ou nécessite davantage d’exercices, il suscite la suspicion ou les moqueries. Par conséquent, de nombreuses personnes ne préfèrent pas s’imposer de telles contraintes. Dans le cadre d’une enquête menée dans une entreprise, nous avons rencontré un quinquagénaire qui refusait de participer à la formation en informatique proposée par son employeur. Inversement, il apprenait avec assiduité à se servir d’Excel en privé car il était le trésorier de son club de gymnastique. Lorsque nous avons voulu savoir pourquoi, il a répondu: certes, dans le club je fais partie des plus jeunes, mais dans l’entreprise, je suis l’un des plus âgés. J’ai déjà pris «un coup de vieux».

La capacité de notre cerveau est largement sous-estimée. En effet, les capacités d’apprentissage résistent à l’âge.

Ne faisons-nous pas assez confiance aux seniors?
En effet, il existe un malentendu social qui induit une prophétie autoréalisatrice. Lorsqu’un sexagénaire ne parvient pas à utiliser une application mobile, l’on doute de ses capacités cognitives. En revanche, si l’utilisateur a 25 ans, chacun pensera que c’est l’application qui n’est pas conviviale. Nous tendons à invoquer automatiquement l’âge comme raison et les personnes âgées assimilent ce modèle de penser.

Ce ne serait pas l’âge qui diminuerait notre désir d’apprendre mais certains préjugés?
Oui, comme nous avons pu le démontrer dans le cadre d’une étude, nous avons une fausse perception de notre situation. Nous avons effectué dix heures d’«expériences cognitives» avec des salariés âgés de 50 à 60 ans et leur avons montré qu’ils avaient les mêmes dispositions que leurs collègues trentenaires. Résultat: après quelques mois, ils ont réalisé les mêmes performances dans le cadre de tests d’apprentissage et de motivation que leurs jeunes collègues et avaient besoin de 20% de temps d’apprentissage en moins qu’auparavant. Dans le groupe témoin, les salariés plus âgés ne montraient aucun changement en matière de motivation et de capacités d’apprentissage car on les avait laissé croire qu’ils étaient plus lents que les jeunes.

Pourquoi les parents et surtout les grands-parents n’ont-ils aucune chance contre de jeunes enfants lorsqu’il s’agit de calcul et d’analyse combinatoire?
En principe, plus les défis sont larges et complexes, moins l’on ne recense de différences entre les personnes jeunes et âgées. Dans le cas des problèmes mathématiques, il s’agit toutefois de «micro-tâches» pour lesquelles nous avons besoin d’une infime partie des capacités cognitives du cerveau. Les connaissances préalables et la stratégie jouent un rôle mineur. Par contre, le temps de réaction et de traitement est fondamental. Et c’est dans ce domaine que les jeunes réalisent les meilleures performances. Pour ce qui est de l’apprentissage de langues nouvelles, les plus jeunes sont certes plus aussi plus rapides que leurs ainés mais ils ne sont en aucun cas meilleurs. Lorsqu’une personne âgée apprend une nouvelle langue, elle peut atteindre les mêmes résultats que quelqu’un de plus jeune.

Tout comme le sport et une alimentation saine, la santé mentale fait partie des trois piliers de la prévoyance vieillesse non financière.

Dans quelle mesure est-il possible d’entraîner ses capacités cognitives?
Sur la base des données de test, il est tout à fait possible de conduire un sexagénaire moyen aux mêmes performances qu’un quadragénaire quelconque. Une étude réalisée par l’Université de San Francisco a montré qu’il est même possible de surpasser ces résultats: en seulement 12 heures de formation réparties sur quatre semaines, un groupe de personnes âgées de 60 à 85 ans est parvenu à atteindre de meilleures performances à un exercice de concentration qu’un groupe de vingtenaires lambda.

Il suffit donc de faire tous les jours des mots croisés ou des sudokus pour rester en forme mentalement?
Malheureusement, ce n’est pas aussi simple. Les améliorations que vous obtenez avec ce type d’exercices ne se transfèrent malheureusement pas sur d’autres domaines tels que la capacité générale de concentration. En matière d’apprentissage, il est aussi crucial d’éviter toute automatisation. L’important est de toujours rester à l’écoute, de toujours apprendre quelque chose de nouveau et de ne pas se plier à la routine. Ainsi, le cerveau maintient sa forme. Et plus nous le stimulons longuement, plus il fonctionnera longtemps. «Use it or lose it». En d’autres termes, s’arrêter, c’est reculer.  

Et la récompense, c’est de pouvoir mener à l’âge de la retraite une vie indépendante, en toute liberté de choix comme celle à laquelle aspirent 91% des plus de 65 ans selon une enquête réalisée par Swiss Life?
Exactement. Tout comme le sport et une alimentation saine, la santé mentale fait partie des trois piliers de la prévoyance vieillesse non financière. L’apprentissage tout au long de la vie est donc l’une des meilleures prévoyances vieillesse que nous puissions contrôler nous-mêmes.

Porträt Stamov Rossnagel

Christian Stamov Roßnagel

Professeur en psychologie

Christian Stamov Roßnagel est professeur en psychologie de l’organisation auprès du centre «Center on Lifelong Learning and Institutional Development» de la Jacobs University de Brême. Il est également l’auteur du livre «Mythos: alter Mitarbeiter: Lernkompetenz jenseits der 40?» (Editions Beltz).

Université pour seniors

Le rôle de pionnier de la France
Partout en Europe, de plus en plus de personnes âgées se forment dans des universités pour seniors. Un boom qui a vu le jour en France où il a été reconnu que la formation continue contribue au maintien de la «santé publique». La première université du troisième âge a ainsi été créée à Toulouse en 1973. Depuis, il en existe plus de 60. La première université suisse des seniors est née en Suisse en 1975 (2013: 13). L’Allemagne a emboîté le pas au début des années 1980 (2013: plus de 50). L’ensemble des universités européennes pour séniors forment le réseau «Learning in Later Life». Voici toutes les institutions présentées par pays:

"Video game training enhances cognitive control in older adults“. Gazzaley, A., University of San Francisco (2013).
www.nature.com/nature/journal/v501/n7465/full/nature12486.html#affil-auth

2 «Rester libre» – une enquête de Swiss Life (2016).

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