D’aucuns en sont convaincus: la génération Y déserte la place politique et est gouvernée par une pensée matérialiste. Trois représentants de cette génération, originaires d’Allemagne, de France et de Suisse, viennent tordre le cou à ces allégations. Ils sont fortement engagés en politique et au sein de la société, que ce soit dans leur travail ou leur temps libre. Pourquoi s’engagent-ils pour la société? Quels sont leurs objectifs? Comment mobilisent-ils leur génération? Découvrez les réponses dans cette série.
Kai Whittaker, 32, membre du Bundestag allemand (CDU)
Kai Whittaker (32 ans) est l’un des plus jeunes députés au Bundestag. Il a étudié les sciences économiques à Bristol et à Londres. Il a été élu au Bundestag en 2013 où il est membre ordinaire du Comité de l’emploi et des affaires sociales. Il vit à Baden-Baden.
1. Pourquoi êtes-vous engagé en politique?
La politique détermine notre vie quotidienne, que nous le voulions ou non. Cela commence chaque matin, dès que vous allumez la lumière, avec le courant fourni, et cela se poursuit avec l’état de la route que vous empruntez pour aller au travail: la politique est présente à tous les niveaux. On peut certes ne pas s’y intéresser, mais on ne peut pas lui échapper. En ce qui me concerne, je suis plutôt quelqu’un qui préfère participer aux décisions plutôt que de les subir. Voilà pourquoi je me suis lancé en politique.
2. On entend souvent dire que la priorité de votre génération est la sécurité financière, au détriment de l’engagement politique. Arrivez-vous à mobiliser les gens?
Il est vrai qu’on peut parfois avoir ce sentiment. Mais à travers différents événements qui ont marqué ces dernières années, on ne peut pas nier que nous sommes plus politisés que jamais. Les gens sont conscients du poids de leur opinion, de leur engagement ainsi que de leurs voix. Dès qu’on parle concrètement de leur avenir, il y a un engouement évident pour la politique, ainsi que pour les partis.
3. Quels sont les trois principaux problèmes que rencontrent les jeunes générations dans votre pays?
Il est devenu beaucoup plus difficile pour la jeune génération de se constituer un patrimoine. C’est pourtant une composante centrale de la promesse d’ascension sociale dans notre pays. En outre, je suis préoccupé par la mutation démographique. Nous sous-estimons les difficultés financières auxquelles notre génération sera exposée. Et pour finir, ma génération a du mal à être indépendante et à expérimenter de nouvelles idées. Je crois que la pensée sécuritaire est beaucoup trop ancrée.
4. Et quelles sont les trois plus grandes opportunités?
Avec la transition numérique pour commencer, nous pourrions radicalement changer l’économie et résoudre de nombreux problèmes. Nous devons saisir cette opportunité. Deuxièmement, notre génération tient l’avenir de l’Europe entre ses mains. Sommes-nous capables de collaborer dans les principaux thèmes de politique de sécurité, de politique extérieure et économique? Et troisièmement, nous devons repenser notre gestion économique afin de préserver nos ressources. La transition numérique recèle d’immenses potentiels à cet égard.
5. Préparez-vous financièrement votre retraite?
Oui, je prends les devants en investissant par exemple dans un fonds composé de différentes actions.
6. Selon vous, votre génération pourra-t-elle vivre de la retraite?
Jusqu’à présent, la génération des petits-enfants a toujours mieux vécu que celle des grands-parents. Je ne vois pas pourquoi la tendance changerait brutalement. Donc, oui nous pourrons vivre correctement de notre retraite. Et nous vivrons plus longtemps que quiconque auparavant, et surtout en meilleure santé. C’est pourquoi, il va de soi que nous travaillerons plus longtemps, indépendamment de l’âge auquel nous sommes entrés dans la vie active.
7. Quels sont concrètement vos objectifs d’ici un à deux ans?
Je souhaite tout d’abord que nous introduisions l’administration numérique afin que nous devenions le pays d’Europe le plus à l’écoute de ses citoyens. Il me semble par ailleurs important de réduire drastiquement le nombre de chômeurs de longue durée. Ils sont aujourd’hui un million, c’est beaucoup trop à un moment où l’Allemagne connaît un réel essor.
Agnès Hubert, 39, Directrice des relations donateurs et grand public de l’Institut Curie à Paris
Agnès Hubert (39 ans) est depuis 2016 Directrice des relations donateurs et grand public à l’Institut Curie. Après dix années d’exercice dans le secteur financier, elle s’engage en 2010 auprès de La Manu, une association dédiée au lien entre étudiants et entreprise, puis rejoint l’Institut Curie une année plus tard. L’Institut Curie est l’un des plus grands centres de recherche au monde dans la lutte contre le cancer. Il dispose de ses propres hôpitaux. Agnès Hubert vit à Paris avec sa famille.
1. Pourquoi est-ce que vous vous engagez dans votre domaine?
Travailler dans le secteur associatif et plus particulièrement dans le domaine de la recherche et de la santé fut pour moi un réel choix d'orientation professionnelle. Après plusieurs années d'exercice dans le secteur financier, j'ai décidé de mettre mes compétences au profit d'une grande cause, au profit de la société. Ce choix de changement n'a pas été simple à mettre en œuvre car en France le marché de l'emploi est très cloisonné. Heureusement, certains recruteurs sont plus ouverts et savent saisir les opportunités de recruter des profils atypiques porteurs de compétences.
2. Votre génération a souvent la réputation d'être apolitique et matérialiste. Comment est-ce qu’elle se laisse mobiliser?
Je ne partage pas cette image d'une génération matérialiste et apolitique. Je pense que nous sommes une génération qui se libère de certains cadres et obligations. Une génération qui a besoin de se faire une idée des choses avant de donner son adhésion. Ainsi, les choix politiques se font plus tardivement pour certains et ne sont à mon avis pas liés à une recherche de sécurité financière. C'est une génération qui a besoin de comprendre, de sens. Cela induit une relation différente à l'emploi, à la sécurité financière, aux relations sociales par rapport aux générations précédentes. Pour mobiliser cette génération, il faut expliquer, démontrer, prouver que leur mobilisation a un intérêt…
3. Quels sont les trois plus grands problèmes pour les jeunes générations dans votre pays?
Le contexte économique et politique actuel qui amène un avenir incertain sur bien des pans de notre société. La confiance des entreprises dans la jeunesse: l'emploi des jeunes reste un sujet de société en France. Changeons de prisme, les jeunes ne sont pas un risque pour l'entreprise mais une opportunité.
4. Et quelles sont les trois plus grandes opportunités?
Le dynamisme de l'innovation et des nouvelles technologies source de nouveaux emplois, nouveaux services, nouvelles organisations. L'ouverture et la mobilité internationale.
5. Est-ce que vous vous occupez déjà de votre prévoyance-vieillesse?
La prévoyance-vieillesse est un sujet que j'ai longtemps ignoré. La situation économique française m'amène aujourd'hui à mettre en place des solutions telles que l'épargne dédiée et des assurances afin de pallier une pension de retraite qui sera faible voire inexistante. Je pense que malheureusement le système de retraite français par répartition n'est plus adapté à notre pyramide des âges, et à l’allongement de la durée de vie.
6. Selon vous, jusqu'à quel âge votre génération devra-t-elle travailler?
L'actuel régime prévoit un départ à la retraite à 67 ans, je pense que malheureusement ma génération devra encore travailler au-delà de cet âge et que la pension de retraite sera faible. En France, nous n'avons pas la culture de la préparation de la retraite par capitalisation. Elle s'imposera sûrement à nous.
7. Deux ou trois choses que vous désirez accomplir concrètement dans les deux ou trois années à venir?
Dans un avenir proche, je souhaite mettre en scène la pièce de théâtre que j'écris actuellement. Passionnée de cet art, je partage mon temps entre ma vie professionnelle, le théâtre et ma famille. Je souhaite également créer un grand mouvement de solidarité contre le cancer avec l'Institut Curie. Nous vivons une époque riche de découvertes et d'avancées contre cette maladie. Grâce à la générosité publique, nous pouvons faire avancer encore plus vite la recherche et les soins au bénéfice des patients.
Andri Silberschmidt, 23, président des Jeunes libéraux-radicaux suisses (Jungfreisinnige Schweiz)
Andri Silberschmidt (23 ans) est président des Jeunes libéraux-radicaux suisses depuis 2016. Son action politique est axée notamment sur la prévoyance vieillesse, la politique en matière de formation et la place économique suisse. Lors de la campagne électorale s’opposant à l’initiative AVSplus, il était à la tête d’un comité national de jeunes interpartis qu’il a conduit avec succès. Il travaille en tant que gestionnaire de portefeuille auprès d’une banque et étudie par ailleurs l’économie d’entreprise. Il dirige depuis peu une boutique éphémère qui propose un concept de sushis-burritos. Il vit à Zurich.
1. Votre engagement politique est-il né d’une occasion particulière?
C’est à 17 ans que la politique s’est imposée alors que j’étais apprenti dans le secteur bancaire et que j’ai fait un discours d’ouverture à l’occasion de la fête nationale, sur la Bürkliplatz de Zurich. J’espère évidemment que cet engagement en politique va inciter d’autres jeunes de mon âge à s’investir et pourquoi pas éveiller chez eux la conscience libérale.
2. Vous faites partie d’une génération qui, dit-on, n’est pas politisée et privilégie la consommation. Quel est votre sentiment sur la jeunesse de votre pays?
Socrate formulait déjà ces mêmes critiques à l’égard de la jeune génération 400 ans avant Jésus Christ. Ces préjugés ont donc la vie dure. En revanche, ce qui a vraiment changé, c’est la volatilité. Même à 23 ans, je suis parfois frappé par ce qui est «la tendance du moment» chez les jeunes. On arrive très bien à mobiliser notre génération avec des thèmes qui comptent vraiment. Il faut bien sûr avoir une action sur Internet, même si sans présence physique, le succès est compromis.
3. Quels sont les trois principaux problèmes que rencontrent les jeunes générations dans votre pays?
La plupart des problèmes sont en fait d’ordre personnel. Mais on voit bien pendant les études supérieures, et même avant celles-ci, les défis que représentent les flux migratoires ou encore la mutation du travail vers l’univers numérique.
4. Et quelles sont les trois plus grandes opportunités?
Je crois que, pour notre génération, les plus grandes opportunités résident dans l’interconnexion mondiale, au niveau économique et culturel, dans la transition numérique ainsi que la formation. L’interconnexion mondiale offre la possibilité d’étudier ou de travailler à l’étranger. La transition numérique fait quant à elle émerger de nouveaux modèles de travail et l’accès facilité à la formation permet de conserver notre statut d’excellence à l’échelle internationale.
5. Préparez-vous financièrement votre retraite?
Je suis assuré en tant qu’employé dans le premier (AVS) et le deuxième pilier (LPP), mais je dispose par ailleurs d’un compte de prévoyance privé depuis l’année dernière.
6. Selon vous, jusqu’à quel âge votre génération devra-t-elle travailler?
Je suppose que dans quarante ans, nous ne partirons pas à la retraite du jour au lendemain. Le modèle d’évolution linéaire laissera place à un modèle en cloche, où le travail tendra à diminuer avec le temps et où l’on sera encore actif à plus de 70 ans. Je suis heureux chaque jour et je considère le travail non pas comme un devoir, mais comme quelque chose me permettant avant tout d’être heureux et de m’épanouir.
7. Quels sont concrètement vos objectifs d’ici un à deux ans?
Nous allons lutter contre la réforme de la prévoyance vieillesse 2020 au mois de septembre afin que les politiques puissent véritablement s’occuper des défis de l’évolution démographique pour réduire la pression qui pèse sur les épaules des jeunes générations.