Star montante du cinéma européen, le Français Nicolas Maury fait figure d’exception. Avec sa douceur et sa façon d’exprimer ses sentiments, il incarne une nouvelle virilité. Entretien sur son combat pour une vie en toute liberté de choix et sur le pouvoir du cinéma.
Les salles de cinéma sont enfin de nouveau ouvertes dans la plupart des pays européens. Vous avez dit un jour que le cinéma «réparait» les gens. Que vouliez-vous dire par là?
Je suis convaincu que la fiction peut nous guérir et nous enseigner des choses. Beaucoup pensent que nous apprenons quelque chose grâce à des documentaires que nous regardons sur Internet, mais au fond, nous sommes souvent uniquement confrontés à des informations formatées. Au cinéma, c’est-à-dire avec la fiction sur grand écran, les choses sont différentes. D’une part, parce que la beauté de manière générale rafraîchit, élargit et répare l’esprit. Et d’autre part, parce que le fait de regarder quelqu’un d’autre vivre sa vie et de s’identifier à lui met nos pensées en mouvement. On se reconnaît soi-même, on commence à penser à soi-même. Cela peut être très bénéfique.
Vous y êtes d’ailleurs parvenu dans votre interprétation du jeune homosexuel Hervé dans la série «Dix pour cent» sur France 2. Beaucoup de jeunes hommes vous ont écrit pour vous remercier parce qu’ils se sont reconnus dans ce personnage et ont trouvé un moyen d’évoquer leur sexualité. Vous vous attendiez à une telle réaction?
Pas du tout, mais j’en suis très content et c’est important pour moi. J’espère que ce que je fais est un acte politique sous une forme poétique et que cela aide les jeunes comme les personnes âgées à s’accepter comme elles sont. De manière générale, et pas seulement en termes de sexualité. Cela dit, je ne me vois pas comme un artiste qui ne fait que transposer un message et tourner des films pour certaines personnes uniquement.
Dans votre dernier film «Garçon chiffon», vous donnez également un coup d’éclat à un personnage fragile et avez pour cela été récompensé en tant que «European Shooting Star» lors de la Berlinale 2021…
…«Shooting Star» – quel titre! Je suis très heureux d’avoir pu en arriver là à 40 ans (rires).
Dans le film, vous incarnez un acteur du nom de Jérémie qui est à la recherche de lui-même et d’une vie en toute liberté de choix.. Il est finalement «sauvé» par le théâtre. Etait-ce pareil pour vous?
«Sauver» est peut-être un peu exagéré. Mais oui, j’adore le théâtre. Il remet en question la vie et la rend aussi beaucoup plus belle. Il me relie à quelque chose de très originel, presque antique. Cela me rend en quelque sorte humain, peut-être trop humain.
Votre fragilité personnelle est exposée très ouvertement dans ce film. Cette présentation de la propre vulnérabilité est-elle dans l’air du temps?
J’ai été marqué par le cinéma français des années 1990, par les films de Noémie Lvovsky, de Laurence Ferreira ou d’Olivier Assayas. Ils ont tous montré des personnages qui focalisent leur sensibilité vers l’extérieur et qui avouent avoir du mal à s’accommoder de la pression sociale, celle qui vous oblige à faire quelque chose de votre vie, à fonder une famille et à avoir une carrière. Ce n’est donc pas vraiment nouveau. Mais c’est vrai qu’on en voit beaucoup plus souvent dans les films de nos jours. Mais j’ai souvent l’impression que l’on suit plus une tendance qu’une nécessité intérieure.
Qu’entendez-vous par là?
Aujourd’hui, on voit souvent des jeunes protagonistes qui se heurtent à la vie et qui ont du mal à s’en accommoder, mais qui sont malgré tout très drôles et sympathiques. Cela ne me parle pas. Ça ne me semble pas honnête. C’est exactement ce que j’essaie de ne pas faire. J’essaie d’être aussi honnête que possible, de ne pas prendre de pose.
C’était votre intention avec ce film? Dans «Garçon chiffon», vous ne jouez pas seulement le rôle principal, mais vous avez aussi écrit et réalisé le scénario.
Oui, je voulais être le plus honnête possible et montrer un personnage masculin central, plein de contradictions. Jérémy est parfois intentionnellement insupportable, mais en tant que spectateur, on a souvent envie de le prendre dans ses bras. Il n’est pas non plus simplement une victime de la société, il s’affaiblit aussi lui-même. Le chemin vers à la liberté de choix est difficile et demande beaucoup de travail et de discipline. Et le cinéma a aussi une dimension politique: nous devons aussi montrer des héros masculins qui n’ont pas de casque de moto et une voix très grave.
Voulez-vous redéfinir la virilité?
Peut-être que nous devrions arrêter de considérer la masculinité comme un concept fixe. Cela laisse trop peu de place à la liberté de choix. Nous devrions libérer les hommes de ce schéma qui dit: tu es soit le gentil loser, soit l’homme fort. Il y a des milliers de personnalités entre les deux. Nous devrions laisser de la place à ces façons d’être afin que chaque homme puisse s’exprimer lui-même au lieu d’être défini de l’extérieur.
Votre voix particulière, plutôt lumineuse et douce, fait partie de votre marque de fabrique. En toute franchise: y a-t-il eu des moments où vous étiez tenté de la modifier pour imiter une voix masculine classique?
Je crois que certains acteurs sont effectivement tentés de faire semblant, de se transformer. Mais je n’ai jamais été comme ça. J’ai toujours été fidèle à moi-même. Non pas parce que je me trouve particulièrement intéressant, mais parce que je pense que ma voix peut déclencher quelque chose qui touche aussi d’autres personnes. C’est un instrument important à cet égard.
Vous vous exprimez également publiquement en faveur de la communauté LGBTQ+ et présidez la Queer Palm au Festival de Cannes de cette année.
Oui, c’est pour moi une mission d’une grande importance politique. Ce qui me plaît dans l’idée de la «Queer Palm», c’est de récompenser un cinéaste et de mettre en valeur son univers, aussi grand, dangereux et passionnant soit-il.
Le milieu culturel n’est-il pas encore suffisamment sensibilisé aux questions d’égalité de traitement?
Beaucoup de gens pensent que le milieu culturel est un endroit très ouvert. Mais même si les minorités sont aujourd’hui représentées de manière plus égalitaire dans le cinéma, le monde du cinéma n’est pas pour autant un espace où tout le monde se montre toujours bienveillant à l’égard des personnes LGBTQ+. Que ce soit dans le monde de la musique ou du cinéma, il nous reste encore beaucoup à faire.
Nicolas Maury
Star montante du cinéma européen, l’acteur français Nicolas Maury, 40 ans, a reçu le titre de «European Shooting Star» lors de la Berlinale de 2021. Il doit sa renommée internationale à son interprétation d’Hervé dans la série «Dix pour cent» sur France 2. A l’automne dernier, il sort son premier long-métrage en tant que réalisateur: «Garcon Chiffon», nommé dans la catégorie «Meilleur premier film» des Césars 2021. Nicolas Maury se distingue par sa nature mélancolique et douce, son attitude ouverte envers sa propre homosexualité et son style très enjoué et libre. Il suit sa voie en toute liberté de choix, ne cherche pas à s’adapter et s’engage publiquement en faveur des préoccupations de la communauté LGBTQ+.